2 septembre 2019

Le 3 juillet 2019, une nouvelle table ronde « Wake up (with) Arbitration ! » s’est tenue au cabinet Altana sur le thème « L’arbitrage : le ‘chant du cygne’ ? » avec Diana Paraguacuto-Mahéo et Jean-Pierre Grandjean.

Le « chant du cygne » est une expression qui puise ses origines dans une légende selon laquelle un cygne sentant venir sa mort a chanté merveilleusement bien, alors que son chant est habituellement peu mélodieux. Ce chant serait donc la dernière manifestation du talent créateur. L’arbitrage est confronté ces derniers mois, à une série d’attaques selon laquelle il céderait le pas à la médiation, se porterait de plus en plus mal, les entreprises et les Etats, dans un regain de nationalisme, ne lui faisant plus confiance, les procédures étant trop longues et trop coûteuses. Dans le même temps, les dernières statistiques des différentes institutions d’arbitrage révèlent que le nombre d’affaires soumises à l’arbitrage n’auraient jamais atteint un si haut niveau. On ne compte plus non plus le nombre et la rapidité de réformes récentes relatives à l’arbitrage, lesquelles sont propices à ce mode de résolution des litiges, comme la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle qui étend la matière arbitrage à d’autres utilisateurs, la réforme de mars 2019 sur l’arbitrage en ligne, les procédures accélérées, ou encore les nouvelles dispositions sur la transparence et la publication des sentences.

Face à cette apparente contradiction, il était important de débattre de ce sujet « l’arbitrage : le ‘chant du cygne’ ? », i.e., l’arbitrage serait-il en train de composer son oraison funèbre avec toutes ces nouvelles réformes ? Ou ce dernier ne serait-il que la victime d’un « arbitration bashing » ?

photo 1 post § 3

À la demande des organisatrices de Wake Up (with) Arbitration!, le premier intervenant devait démontrer que la légende du chant du cygne ne pourrait mieux aller á l’arbitrage, que ce dernier se meurt et vit ses derniers moments de grâce.

Le premier intervenant a d’abord rappelé que les statistiques des différentes institutions d’arbitrage démontrent que l’arbitrage ne s’est jamais mieux porté. Ainsi, en 2018 la Chambre de Commerce Internationale a enregistré 842 nouveaux cas en 2018 contre 810 cas en 2017 et un total de 1 603 affaires pendantes, pour un montant en jeu excédant USD 203 milliards. Aussi, au CIRDI, 57 nouvelles affaires ont été enregistrées au cours de l’exercice de 2018. Cela représente une augmentation de 16 % par rapport au nombre d’affaires enregistrées en 2017 (49). Il s’agit du nombre le plus élevé d’affaires jamais enregistrées au CIRDI au cours d’un seul et même exercice. En 2018, le Centre a administré un nombre record de 279 affaires, ce qui représente 41 % de l’ensemble de ses affaires jamais administrées, soit 676 affaires CIRDI au 30 juin 2018.

Par ailleurs, des poussées de règlements nouveaux sont censées réparer les différents talons d’Achille de l’arbitrage : la procédure d’arbitrage accéléré, l’arbitrage d’urgence, la sanction financière des arbitres dilettantes ; une accélération dans la diversité des arbitres ; une plus grande transparence dans le fonctionnement des institutions.

Néanmoins, à l’instar des statistiques, ces saillies ne sont en réalité que les ultimes tentatives désespérées d’un arbitrage qui n’a que trop vécu et qui se meurt. Les signes de l’agonie de l’arbitrage sont nombreux : il s’est, d’une part, éloigné de ses fondamentaux et, d’autre part, il est concurrencé par d’autres modes de résolution des litiges plus économes et efficaces.

D’abord, s’agissant de l’arbitrage d’investissement, l’agonie est manifeste depuis de nombreuses années, notamment à travers la vague de contestation politique à l’égard du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Celle-ci a d’abord secoué les états d’Amérique latine, tels que le Venezuela ou l’Equateur, qui se sont retirés en 2012 et 2009 respectivement du CIRDI, avant d’affecter l’Union Européenne (« UE ») dans le cadre des négociations commerciales transatlantiques. Ce retrait est signe d’une remise en cause catégorique par un groupe d’Etats d’un système dans lequel ils n’ont pas ou plus confiance.

Aujourd’hui, c’est l’arrêt Achmea (CJUE 6 mars 2018) qui pourrait désormais faire trembler les fondations juridiques de l’arbitrage d’investissement en Europe, la Cour de justice de l’UE (« CJCE ») ayant considéré que le tribunal arbitral institué par le Traité bilatéral d’investissement Pays-Bas-Slovaquie n’était pas autorisé à interpréter le droit de l’UE, puisque la CJCE est la seule compétente pour ce faire, à titre préjudiciel, et que les arbitres ne sont pas habilités à la saisir à ce titre. Cet arrêt met directement sur la sellette les 196 traités bilatéraux d’investissement, souscrits entre les États membres de l’UE. Et d’ailleurs, le 15 janvier 2019, 22 Etats membres de l’UE ont déclaré mettre un terme aux TBI entre Etats membres.

Cela soulève de nombreuses questions, notamment celles relatives à l’annulation potentielle de sentences rendues dans l’UE dans des litiges fondés sur des TBI intra-EU, ainsi que des problèmes potentiels d’exécution si le siège de l’arbitrage se situe en dehors de l’UE.

Mais par-delà les seuls accords d’investissement intra-UE, la décision Achmea, pourrait bien affecter l’avenir des clauses d’arbitrage entre investisseurs et États incluses dans les traités de libre-échange conclus par l’UE.

Par ailleurs, la CNUDCI a créé un groupe de travail III chargé de réfléchir à la Réforme du règlement des différends entre investisseurs et États et parmi les réponses proposées dans ce forum, comme d’ailleurs au niveau de l’UE, est envisagée la création d’une cour d’investissement permanente où les magistrats seraient nommés par les Etats.

Le CIRDI a aussi répondu à ces critiques et à d’autres, en annonçant une révision de son règlement.

L’arbitrage au sens large se meurt et est fortement attaqué dans toutes les régions du monde :

  • Au Moyen Orient, l’arbitrage connait une croissance aux pieds d’argiles notamment après l’émoi suscité en 2016 par la modification de l’article 257 du Code pénal des Emirats Arabes Unis (EAU) qui permettait aux autorités locales d’emprisonner temporairement les arbitres et autres professionnels dans des arbitrages dont le siège était aux EAU sur le fondement de violations éventuelles du devoir d’objectivité et d’intégrité. Même si cette loi a été abrogée en octobre 2018, le risque d’un changement unilatéral et soudain du cadre juridique fait douter de l’opportunité de choisir l’arbitrage comme mode de résolution des litiges.
  • En Amérique latine, les scandales Lava Jato et Odebrecht ont généré une vague de contestation de l’arbitrage sans précédent, laissant craindre un plus grand encadrement de l’arbitrage.
  • En Afrique, le contrôle des sentences arbitrales s’est accru dans certains pays, notamment en Ethiopie où la Suprême Court a décidé dans la décision National Minerals en mai 2018 qu’elle avait compétence pour connaitre d’un appel contre une sentence arbitrale sur le fondement d’une prétendue erreur de droit, et ce même si les parties avait exclu cette possibilité dans leur clause d’arbitrage. En Tanzanie, un changement récent de la loi a exclu les partenariats publics-privés du recours à l’arbitrage international, forçant les parties à recourir aux tribunaux nationaux.
  • En Asie, l’arbitrage est souvent perçu comme un moyen pour protéger les intérêts des entreprises chinoises. La Chine a d’ailleurs créé les deux premières Cours de Commerce International pour offrir aux entreprises une alternative à l’arbitrage. C’est d’ailleurs aussi ce qui s’est passé en France, à Singapour, à Bruxelles et aux Pays-Bas.

Outre ces mesures répondant à la vague de contestation, le deuxième signe de l’agonie de l’arbitrage est son éloignement de ses fondamentaux. Que reste-t-il notamment du consensualisme en matière d’arbitrage lorsqu’en matière d’arbitrage accéléré les institutions arbitrales imposent un seul arbitre et ce en dépit d’une clause indiquant le recours à 3 arbitres dans l’hypothèse où le différend se situerait en deçà des seuils requis ?

Que reste-t-il aussi de la confidentialité en matière d’arbitrage alors même que la CCI a pris la décision de publier sans nécessairement les caviarder les sentences arbitrales dans les deux ans de leurs rendus ?

Que reste-t-il par ailleurs du contrôle limité des sentences arbitrales ? Comme le rapportait Thomas Clay, en 2016, sur 20 demandes d’annulation á la Cour d’appel de Paris, 4 sont confirmées soit 20%. En 2017, sur 23 demandes d’annulation, 6 sont acceptées. Soit 26%. En 2018, avant le mois de juin, 3 annulations sont prononcées sur 11 demandées, soit 24%. C’est donc qu’en France les recours en annulation aboutissent une fois sur 4.

Cette tendance existe aussi ailleurs : en Espagne, par exemple, où le 10 mai 2018, le Tribunal Supérieur a annulé une sentence arbitrale en raison d’une appréciation divergente des conclusions tirées par les arbitres des preuves exposées, en trouvant fondement dans l’opinion dissidente d’un des arbitres. Le même Tribunal Supérieur a annulé une sentence parce qu’il n’a pas approuvé la manière dont cette dernière était motivée. Le juge étatique remet en question la survie même de l’arbitrage en s’immisçant dans un contrôle de fond.

Sur le plan de l’intensité du contrôle, la jurisprudence récente est mortifère. Dans l’arrêt Belokon (CA Paris, 21 février 2017, Rev.arb., 2017.915, note Sylvain Bollée et Mathias Audit), la Cour d’appel de Paris se livre à une recherche approfondie des éléments de preuve, sans se limiter aux éléments de preuves produits devant les arbitres et sans se sentir liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux.

Que reste-t-il de la célérité en matière d’arbitrage ? Lorsque les recours en annulation et les contentieux de l’exécution sont devenus la norme et que certains s’invitent à penser que l’arbitrage pourrait bénéficier d’une procédure d’appel.

Il n’y a même plus de particularité dans l’administration de la preuve en matière arbitrale ! Alors que les praticiens et utilisateurs avaient trouvé un juste milieu avec les règles IBA sur l’administration de la preuve, outils flexibles par excellence, voilà que l’on veut transformer l’arbitre en juge inquisiteur, comme en témoignent les Règles de Prague.

Ces mêmes Règles de Prague invitent l’arbitre à être aussi médiateur. D’ailleurs, les modes alternatifs de résolution des litiges finiront aussi par tuer l’arbitrage, trop long, trop couteux. Il suffit de voir les Règles de l’IBA sur la médiation en matière d’investissement (2012) ; la Conférence de la Charte de l’Energie, qui a adopté un guide sur la médiation en matière de différend de l’investissement ; un certain nombre de traités d’investissement qui intègrent la médiation comme outils de résolution de leurs conflits, notamment le CETA, et puis la récente Convention de Singapour.

photo 2 avant § À la demande des organisatrices p. 5

À la demande des organisatrices de Wake Up (with) Arbitration, le second intervenant devait quant à lui, démontrer au contraire que ceux qui annoncent la mort de l’arbitrage après son « chant du cygne » sont « des oiseaux de mauvais augure ».

Le deuxième intervenant a rappelé que depuis des décennies, le nombre d’affaires ne cesse d’augmenter. L’arbitrage a beaucoup évolué. Il est devenu une branche du droit, dans sa double dimension : substantielle et processuelle. Il s’est complexifié, professionnalisé, anglo-saxonisé pour connaître, dans la résolution des litiges commerciaux et des différends d’investissement, un formidable développement. Paris a su y trouver toute sa place.

Les transformations de l’arbitrage au cours des trente dernières années ont accompagné son essor, grâce à la première de ses qualités : sa souplesse, son pragmatisme et sa capacité d’adaptation aux réalités économiques et politiques. Personne ne peut sérieusement penser que l’arbitrage – qui n’a rien d’un malade – soit au bord de l’agonie.

Ceux qui le présentent comme trop lent et/ou trop cher connaissent-ils la durée et le coût de procédures devant les juridictions étatiques dans un litige international ? Les institutions d’arbitrage ont néanmoins entendu la critique. Elles mettent en place, comme fait la CCI, des procédures plus rapides pour y remédier et des guides de bonne pratique pour une efficacité accrue. L’arbitrage s’est certes complexifié mais le droit et la vie des affaires tout autant.

A une époque de plus grande transparence, la confidentialité n’est plus aussi forte que dans le passé, mais les parties restent libres de la contracter. De longue date au CIRDI, l’arbitrage d’investissement est public et si demain, à la CCI, les sentences seront publiables en principe, l’une des parties pourra toujours éviter ceci en s’y opposant.

Il est vrai qu’à Paris, le contrôle étatique des sentences arbitrales, au regard de l’ordre public en particulier, paraît se renforcer, sous réserve de ce que sera la jurisprudence de la Cour de Cassation. Dans certains domaines, tels ceux de la fraude ou de la corruption, faut-il y voir un vice ou plutôt une vertu ?

Sur le plan européen, l’arrêt Achmea n’est assurément pas une bonne nouvelle pour l’arbitrage. Il ne faut cependant pas exagérer la portée de cet arrêt rendu sur une question préjudicielle relative à un traité bilatéral d’investissement entre les Pays-Bas et la Slovaquie. Cette décision ne concerne que les « intra–EU BIT claims« , pas l’arbitrage CIRDI ni l’arbitrage commercial. Sa solution ne lie pas les juridictions arbitrales. Elle n’affecte que les arbitrages ayant leur siège dans l’UE, pas ceux statuant en dehors de cette dernière, dont la Suisse et, demain, le Royaume-Uni.

Sur le plan mondial, même au CIRDI, l’arbitrage d’investissement a certainement besoin d’être repensé pour retrouver l’attrait qui fut et reste le sien, malgré les défections d’Etats isolés. Des réflexions sont engagées à cet effet. De tout temps, certains pays ont été réfractaires à l’arbitrage. Des Etats persistent à l’être. Cela n’a jamais empêché le développement de l’arbitrage dans la plupart des régions du monde.

Ne nous faisons pas peur ! L’arbitrage ne mourra pas de quelques maux. Il ne succombera pas non plus à l’intrusion de l’intelligence artificielle (cf. rapport du Club des Juristes sur « L’arbitrage en ligne », avril 2019 – http://www.leclubdesjuristes.com/les-commissions/larbitrage-en-ligne/) ni au développement des modes alternatifs de règlement des litiges qui ont toute leur place à côté du contentieux et de l’arbitrage.

L’essor de l’arbitrage, dans une économie mondialisée, se poursuivra tant qu’une ou plusieurs juridictions supranationales n’offriront pas d’alternative à l’arbitrage, susceptible d’en détourner ses nombreux utilisateurs.

Bien loin d’avoir découragé l’arbitrage, la loi du 18 novembre 2016 portant modernisation de la justice a accru son domaine pour l’ouvrir à des secteurs autres que le droit des affaires, même dans l’arbitrage interne.

L’arbitrage est en excellente santé et des champs et territoires nouveaux s’offrent à lui dans une économie globalisée et désormais numérisée. Il ne fait aucun doute que sa flexibilité et sa remarquable capacité d’adaptation lui promettent des lendemains qui chantent, autrement qu’à la façon du cygne que personne, sauf dans la légende, n’a de toute façon jamais entendu chanter !

Une fois les « plaidoiries » des intervenants et leurs présentations terminées, les participants ont pu échanger avec les intervenants.

Il a été soulevé que les nombreuses réformes introduites par les institutions arbitrales, telles que la publication des sentences, le choix d’un seul arbitre dans le cadre des procédures accélérées, etc., sont susceptibles de froisser l’arbitrage en tant que mode de règlement efficace des litiges et c’est pour cette raison que les changements ne doivent pas être initiés de manière hâtive.

Il a aussi été indiqué que si certains fondamentaux de l’arbitrage ont certes disparu, ce constat doit être relativisé : s’agissant de la confidentialité de la procédure, il a été souligné que la CCI a mis en place des outils pour encadrer la publication des sentences. Par ailleurs, la décision de nommer un arbitre unique dans le cadre de la procédure accélérée n’est pas définitive et la CCI peut accepter la nomination de trois arbitres.

La question des difficultés rencontrées lors de la constitution du tribunal arbitral notamment a aussi été adressée et il a été souligné à cet égard que le temps pris pour cette étape cruciale de la procédure arbitrale était justifiée par la nécessité des vérifications quant à l’indépendance et l’impartialité des arbitres, ce qui était tout à l’honneur de l’arbitrage. Enfin, les participants ont conclu que si l’arbitrage a pu connaître des difficultés, le succès de ce mode alternatif de règlement des litiges commande de rester optimiste. L’arbitrage fonctionne très bien, même si certains ajustements demeurent à réaliser. Il est et restera une justice de qualité. L’optimisme est d’autant plus justifié au regard de la création continue de nouveaux centres d’arbitrage un peu partout dans le monde. Non seulement l’arbitrage va-t-il survivre, mais bien heureusement il continuera d’évoluer, sans doute avec le concours de la justice étatique.

Nous remercions une fois encore nos intervenants pour la qualité de leurs présentations et également les participants, qui ont su enrichir le débat !

Si vous avez des questions, des thèmes de débat à proposer ou si vous souhaitez vous inscrire à l’un de nos rendez-vous, contactez-nous via LinkedIn ou notre formulaire de contact.

A très bientôt !

L’équipe de « Wake up (with) Arbitration ! »

Valence Borgia, Maria Beatriz Burghetto & Caroline Duclercq

Laisser un commentaire