24 Mai 2017

Le 28 avril 2017 s’est tenue, dans les locaux du cabinet Altana, une nouvelle édition des petits-déjeuners « Wake up (with) Arbitration ! » avec une édition spéciale s’inscrivant dans la Paris Arbitration Week 2017.

Rosa Taban, Directrice Juridique et chargée d’enseignement à l’Université Paris 1, et Louis Degos, Avocat, ont débattu sur le thème  « Arbitrage et Legaltech : « Il était une fois la révolution » ? ».

Le terme « Révolution » peut revêtir deux sens (i) une prise de pouvoir par la force ou (ii) le mouvement d’un objet autour d’un point central le ramenant périodiquement au même point. La survenance des Legaltech constitue-t-elle une simple adaptation qui nous ramènera au même point ou un changement de régime ? Peut-on parler d’une prise du pouvoir par les robots ?

Penser les technologies n’est pas naturel pour un juriste. Pourtant, la technologie est déjà bien présente dans le quotidien de l’avocat, à travers les emails, les bases de données, les échanges avec les tribunaux et la partie adverse dans les affaires contentieuses (« RPVA »), etc.

Au-delà de la simple technologie, l’avènement de l’intelligence artificielle marque l’arrivée de nouveaux logiciels, appelés « Robots ». Ainsi, les Etats-Unis ont été les premiers à accueillir un robot au sein d’un cabinet d’avocats, avec l’arrivée du Robot Ross, permettant d’analyser des milliers de documents juridiques en temps record. En France, la presse a récemment fait état de la mise en place d’un logiciel permettant de prévoir des jugements dans les juridictions civiles de Rennes et de Douai.

Peut-on imaginer la création d’un arbitre robot ? Si c’est le cas, comment le robot pourra-t-il opérer un revirement jurisprudentiel s’il se nourrit des décisions ayant déjà été rendues ? Comment le nourrir et par qui ? Pourquoi l’erreur de l’ordinateur nous est-elle si insupportable, alors que nous avons intégré que l’arbitre était faillible ?

Notre premier intervenant a, dans un premier temps soutenu, à notre demande, défendu la position affirmative, c’est-à-dire « il était une fois la révolution ». 

« Nous devrions parler d’une révolution-mutation ».

Les Legaltechs constituent une révolution positive de notre société. En effet, elles permettent une meilleure accessibilité à la justice, qui est un principe fondamental. C’est en ce sens que c’est une révolution dès lors que les Legaltechs permettent une vraie démocratisation de l’arbitrage.

Notre second intervenant a ensuite soutenu, toujours à notre demande, la thèse opposée. 

Les Legaltechs viennent du « far west » des Etats-Unis et de la common law, et sont donc davantage adaptés à un système d’oralité et de précédent qu’à un système civiliste.

Les Legaltechs créent en outre un risque d’ubérisation de l’avocat, de marchandisation de la justice au profit d’un monde économique capitaliste et de la recherche de profit.

Il existe un risque que les Legaltechs, créées principalement par des non-juristes, prennent progressivement la place de l’avocat. Les Legaltechs peuvent déjà être comparés à des cabinets d’avocats : elles distribuent le travail, prévoient la rétrocession d’honoraires, constituent des bases de données de clients. A titre d’exemple, Legalstart met déjà à disposition des modèles d’actes juridiques en ligne.

Le logiciel peut pourtant se tromper dans l’aide à la décision s’il n’est pas bien calibré. Ainsi, il existe un véritable risque concernant la « Justice prédictive ». En effet, si la machine ne retient pas les bons critères de recherches, elle peut se tromper. Par exemple, si le logiciel se rend compte que, statistiquement, les juges humains prennent de décisions plus sévères au mois de mars, en général, il rendra automatiquement des décisions plus strictes à cette période de l’année, sans prendre le recul nécessaire qu’aurait adopté le juriste humain.

« Nous passons de l’ère juridictio à l’ère predictio : plus besoin de jugements, nous serons devenus les robots de la machine ! »

A la suite de ces présentations, les participants ont échangé avec les intervenants.

Les intervenants ont atténué leurs propos en indiquant que les risques découlant de l’intelligence artificielle sont réduits lorsque les critères de reconnaissance sont bien définis. Si le maître de la machine définit correctement les critères de reconnaissances, l’ordinateur ne peut pas (ou presque pas !) se tromper. L’algorithme, c’est une question de formation, tout comme avec les humains. Le risque ne découle pas de l’erreur de l’ordinateur mais de l’erreur du programmateur et du formateur.

L’un des intervenants a précisé qu’il existe déjà de la justice prédictive comme les amendes issues du système de contrôle automatisé que le justiciable peut ensuite contester. En outre, il existe de nombreuses plateformes de mise en relations entre l’avocat et son client, tels que eJust, Avvo, Rocketlawyer, Legalzoom, etc.

Un participant a soulevé la problématique de la responsabilité liée à l’ « Internet of things » (IOT), l’Internet des objets connectés. Il existe une dichotomie dans la philosophie du droit à ce sujet : aux Etats-Unis, on reconnait peu à peu la responsabilité des objets, tandis qu’en France, le gardien de l’objet demeure le seul responsable à ce jour.

Il a ensuite été indiqué que le marché des Legaltechs poussera progressivement l’avocat à se spécialiser davantage, afin de proposer un service juridique plus complet.

« Il faut repenser le système pour ne pas disparaître (comme les taxis) ».

Les participants ont ensuite fait l’état des lieux des litiges à venir, notamment sur la méthode d’apprentissage de l’algorithme, qui pour l’instant ne se nourrit que de précédents (case law). En outre, il existe une problématique future sur les opérations de concentration des Legaltechs et sur l’identification des liens de subordination des personnes travaillant pour ces dernières.

Le chiffrage du préjudice qui sera assez naturellement dévolu en premier aux robots est la partie la moins juridique. Il existe déjà des barèmes, car il y a des statistiques.

Un participant a souligné que les Legaltechs constituent un véritable soutien pour les petits litiges pour lesquels les justiciables ne vont pas devant les tribunaux. Par exemple, plus de 60 millions de petits litiges sont traités à travers Modria, un site de résolution des litiges en ligne relatif aux problèmes de livraison et de conformité des produits achetés sur eBay et par PayPal.

Enfin, il a été affirmé que l’arbitrage demeure un domaine relativement protégé, qui n’est pas encore le cœur de cible de l’intelligence artificielle, étant donné sa complexité et l’importante valeur ajoutée des services des conseils et des arbitres. Une question s’est notamment posée sur l’impartialité de l’arbitre dans l’hypothèse où la machine indique à l’arbitre quelle décision il aurait dû prendre.

Nous remercions une fois encore nos intervenants pour la qualité de leurs présentations et également les participants, qui ont su enrichir le débat !

Si vous avez des questions, des thèmes de débat à proposer ou si vous souhaitez vous inscrire à l’un de nos rendez-vous, contactez-nous via LinkedIn ou notre formulaire de contact.

A très bientôt !

L’équipe de « Wake up (with) Arbitration ! »

Valence Borgia, Maria Beatriz Burghetto & Caroline Duclercq

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